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Brexit, un accord en équilibre provisoire
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Le chaos promis n’a pas eu lieu, mais l’on n’a pas évité le bazar. Routiers bloqués, chaînes d’approvisionnement perturbées, pénurie de produits alimentaires, envois de colis suspendus : un mois après la sortie effective du Royaume-Uni de l’Union européenne, entreprises, transporteurs et consommateurs n’ont pas fini de subir les effets nocifs du Brexit.L’accord de commerce et de coopération, trouvé la veille de Noël entre Londres et Bruxelles, a permis de limiter les dégâts que n’aurait pas manqué de provoquer un divorce sans accord, mais il institue de « vrais changements, aux conséquences mécaniques inévitables », avait averti le négociateur en chef européen, Michel Barnier.« À ce titre, c’est bien un accord perdant-perdant puisqu’il aboutit au rétablissement des frontières, et donc à des frictions dans les échanges là où il n’y en avait pas avec le marché unique », résume Elvire Fabry, spécialiste du Brexit à l’Institut Jacques-Delors.Une partie de ces désordres va sans doute disparaître au fil des semaines, une fois que les acteurs auront intégré les démarches administratives à effectuer. « Mais d’autres changements vont se matérialiser, à mesure que les entreprises adapteront leur organisation à ce changement profond, ce qui pourrait créer des tensions sur le long terme », prévient Sébastien Jean, directeur du Cepii, Centre d’études prospectives et d’informations internationales.Pour prendre la mesure de ce risque, il faut plonger dans le détail d’un texte de plus de 1 246 pages qui ressemble à ces contrats fourmillant de clauses en petits caractères mais qui ont de grandes conséquences. Celle dite de la règle d’origine en est la parfaite illustration.En principe, l’accord garantit que les échanges entre le Royaume-Uni et les pays de l’Union échappent aux droits de douane et aux quotas, ce qui vise à fluidifier le commerce entre deux ensembles économiques très intégrés.Mais pour cela, il faut remplir une condition : que les biens en question « respectent la règle d’origine appropriée ». Autrement dit, que chaque exportateur soit en mesure de prouver que plus de la moitié de la valeur de son produit a une source britannique ou européenne. Pour l’automobile, par exemple, ce taux a été fixé à 55 %. Faute de l’atteindre, le véhicule sera taxé à 10 %.« Or, l’industrie automobile britannique est très dépendante des fournisseurs étrangers, notamment asiatiques, pour les véhicules électriques, souligne Sébastien Jean. Si bien qu’une partie de sa production pourrait ne pas se qualifier à l’exemption de tarifs douaniers et donc voir ses coûts à l’export augmenter. Cela interroge sur la capacité du Royaume-Uni à maintenir, dans la durée, son activité dans ce secteur. »La question peut d’ailleurs être étendue à tous les secteurs qui dépendent largement d’importations venant de pays hors UE comme la métallurgie, la chimie, les équipements électriques et électroniques ou le textile.Un autre sujet potentiellement explosif concerne le respect du « level playing field », formule anglaise qui désigne les conditions d’une concurrence équitable. « Dès le début de la négociation, en mars, la Commission européenne a tracé les lignes rouges qui reflètent ses nouvelles préoccupations en matière commerciale : ne pas laisser un partenaire, surtout s’il est si proche, pratiquer un dumping qui lui fournirait un avantage déloyal. Et elle s’y est tenue fermement », rappelle Elvire Fabry.De fait, Londres a finalement dû accepter une clause de « non-régression » qui l’oblige à respecter l’ensemble des législations et normes sociales, environnementales et climatiques européennes en vigueur au 31 décembre 2020. De même, sous la pression, elle a consenti à des concessions concernant sa future politique d’aides d’État.Mais le Royaume-Uni n’a pas pour autant renoncé à sa souveraineté en ces matières. Preuve en est la réunion organisée, à la mi-janvier, entre le premier ministre Boris Johnson et le monde des affaires pour discuter baisse d’impôts et allégement de la réglementation. Signe que le danger d’un Singapour-sur-Tamise aux portes de l’Europe n’est pas définitivement écarté.« Dans la pratique, la stabilité de l’accord dépendra beaucoup du bon fonctionnement ou non du système de gouvernance qu’il institue », poursuit Aurélien Antoine, professeur de droit public et directeur de l’Observatoire du Brexit.En simplifiant, celui-ci repose sur un comité mixte – assisté de 19 comités sectoriels – pilotant la bonne application du traité. En cas de différend sur son interprétation, la partie plaignante peut appliquer des mesures de rétorsion – par exemple, rétablir des droits de douane –, à condition pour la partie incriminée de contester devant un tribunal arbitral, lui aussi mixte, chargé de trancher le litige.« Cela promet des procédures longues et compliquées, si bien que tout le monde aura intérêt à se montrer raisonnable pour préserver l’essentiel », veut espérer Aurélien Antoine. D’autant que de nombreux sujets, laissés de côté par l’accord, sont eux aussi autant de motifs de dispute en puissance. C’est particulièrement le cas des services financiers.En perdant leur « passeport » européen, les entreprises britanniques de ce secteur ont en même temps perdu leur droit de vendre leurs produits financiers dans l’Union. Elles attendent donc que Bruxelles leur octroie des « équivalences », autorisations limitées à certaines activités et facilement révocables. Ce que la Commission européenne a, jusqu’à présent, accordé au compte-gouttes.« Finance, gestion des données, justice, sécurité, défense, diplomatie… il reste tant à discuter qu’il faudra certainement des années pour redéfinir la relation commune entre le Royaume-Uni et l’Union, prédit Elvire Fabry. Denis MacShane, ancien ministre des affaires européennes de Tony Blair, a même parlé, dès 2019, de l’entrée dans le Brexeternity. »Une jolie formule pour souligner que l’accord entré en vigueur le 1er janvier 2021 est plus le commencement que la fin de l’histoire.
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