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En suivant le guide
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L’une de mes premières émotions artistiques, je la dois au moment où j’ai ouvert les yeux après que ma mère m’a fait entrer, avec mon frère et ma sœur, les yeux bandés, dans le lieu qu’elle voulait qu’on découvre d’un seul coup. Je devais avoir huit ans. Nous visitions Paris. Elle nous avait promis « un grand spectacle ». Nous avions avancé dans des couloirs et des escaliers en tâtonnant, à la queue leu leu, en nous tenant la main. Enfin, parvenus à l’endroit mystérieux, elle nous a demandé d’ôter le foulard qui nous maintenait dans le noir et l’inconnu. Et là ! L’air avait pris couleur. Jusqu’au ciel, tout n’était qu’une mosaïque de transparences, de ce bleu des rois mages et des nuits de Noël. Il y avait des rouges bien sûr, et des ors, et des formes et des lumières liquides qui tombaient des murs, nous enveloppaient, et jetaient des tapis d’Orient sur le sol. Nous étions transportés au cœur de la Sainte-Chapelle et jamais je n’oublierai cette immersion dans ce miracle de translucidité, dans son univers géométrique où les formes épousaient la féerie des couleurs.Je me suis souvenue de cet ébahissement dimanche dernier lorsqu’une amie m’a proposé d’aller admirer les verrières de l’église Saint-Séverin. « Les musées sont fermés, mais faisons comme à Rome. Allons admirer les œuvres in situ », m’a-t-elle proposé. Elle avait une brochure à la main : Le Guide des visites d’églises. Le patrimoine religieux de Paris (1). « Je me suis rappelé ton goût pour les vitraux. Nous irons voir ceux du cloître des charniers à Saint-Étienne-du-Mont après ceux de Saint-Séverin. »L’odeur d’encens et le chuchotement des prièresElle a poussé la porte de l’église. Au fond du chœur, scandés par les piliers du déambulatoire, huit vitraux flamboyaient sur la grisaille du ciel. Huit vitraux modernes, réalisés entre 1964 et 1969 par Jean Bazaine, orchestraient des couleurs d’or en fusion. Tout le ciel triste du dehors devenait céleste ici, selon le vœu de l’abbé Suger (1081-1151), le génial architecte de la basilique de Saint-Denis qui fit du vitrail la matérialisation de sa théologie de la lumière. « Jean Bazaine a expliqué que la mission du vitrail contemporain est de nous plonger à nouveau dans l’aventure du Surnaturel », a commenté mon amie. Nous y étions, dans l’odeur d’encens et le chuchotement des prières. J’ai songé que le vitrail était peut-être l’ultime forme artistique qui échappait à la mise au musée.Fort heureusement, assurait le guide, beaucoup d’œuvres étaient restées dans leur écrin d’origine. On pouvait les redécouvrir alors que la crise sanitaire interdisait l’entrée des musées. En Italie comme en Espagne, je ne manquais pas de rechercher ces pépites dans la moindre chapelle. Comment avais-je pu méconnaître qu’un Zurbaran se cachait en l’église Saint-Médard ? Qu’on peut admirer un Delacroix à Saint-Paul-Saint-Louis, un autre tableau de ce même peintre à Saint-Denys-du-Sacrement ? Un Tintoret à Saint-François-Xavier ; un Rubens à Saint-Eustache ; une fresque monumentale de Maurice Denis à l’église du Saint-Esprit… Et bien d’autres encore, et aussi des sculptures, des mosaïques, des meubles, des châsses ; et le jubé de l’église Saint-Étienne-du-Mont, du XVIe siècle, tout en envolées et en dentelles de pierre, que nous sommes allées admirer dans la foulée ?Un abandon à ce que les œuvres suggèrentCes visites m’ont offert l’immense avantage de me replacer là où l’auteur de ces œuvres voulait que je sois pour les contempler : en l’église, où elles trônent pour nous aider à approcher les Mystères, à entrer en communion. « Un crucifix roman n’était pas d’abord une sculpture, la Madone de Cimabue n’était pas d’abord un tableau, même l’Athéna de Phidias n’était pas d’abord une statue », écrivait André Malraux, qui regrettait sans doute à raison que « notre relation avec l’art, depuis plus d’un siècle, n’a (it) pas cessé de s’intellectualiser ». « La statue romane nous parle, mais nous ne nous mettons plus à la prier. Ce qui nous sépare d’elle, c’est l’intention de l’artiste qui l’a créée pour qu’elle fût priée. Si elle avait échoué à suggérer la prière à celui qui la contemplait, son auteur aurait suivi l’injonction de saint Bernard de Clairvaux : il l’aurait détruite », soulignait encore Malraux. Car alors, la statue de la sainte n’aurait plus été que de « l’art pour l’art », autant dire une tentative de séduction, voire la prétention de poser l’art comme une religion nouvelle et l’artiste, comme un démiurge. Au lieu de nous imposer ce que nous avons ressenti, avec mon amie, lors de notre pèlerinage artistique au cœur du patrimoine religieux de Paris : un abandon à ce que les œuvres suggèrent, ce vers quoi elles entraînent : une conversion profonde de tout l’être à la vie suprême.
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