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Le Tour en France
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Le Tour n’est pas seulement une épreuve pour les coureurs. Il l’est aussi pour les spectateurs. Ils s’y sont préparés durant des jours et des jours. D’abord il a fallu se mettre d’accord avec les voisins et amis sur l’itinéraire exact qu’il prendrait et pour mémoriser le jour exact où les champions passeraient en bas de chez vous, sur la RD 50 ou sur la 49 B ? Et puis il y a aussi l’heure précise du passage à intégrer à ses projets de fin de vacances : serait-ce dans la touffeur des heures chaudes de fin de matinée et de début d’après-midi ou aux premiers signes du déclin du soleil ? Aurait-on, ce jour-là, le temps de faire des courses au centre du village ou les accès seraient-ils bloqués, et depuis quand, par la gendarmerie ? Le maire a eu le bon goût de diffuser la veille un message précis donnant la réponse à toutes ces questions. Encore faut-il être sur la liste de contacts de la mairie pour pouvoir être rassuré au sujet de ces incertitudes.
→ ANALYSE. Le Tour de France plus fort que le Covid
Comment s’habillerait-on ? Quel chapeau ? Lunettes noires ou pas ? Gourde ? Trouverait-on un coin d’ombre en plain cagnard ? Avec qui pourrait-on se retrouver et, Covid oblige, quel masque porter pour éviter de contaminer le maillot jaune ? Pour se poser ce genre de questions, il n’est pas nécessaire d’être de ces prétendus « machistes » dénoncés quelques jours plus tôt par le maire écologiste de Lyon. Il suffit d‘avoir gardé au fond de soi une bonne dose d’enthousiasme enfantin pour la plus grande course cycliste du monde. Ils sont loin, croit-on, les petits coureurs en plastique auxquels on donnait les noms des champions de ce temps-là. Ils sont perdus ou cassés les petits Anquetil, Bahamontès, Darrigade et Charly Gaul dont le maniement sur des pistes de contreplaqué peint constituaient le sommet de vos vacances de bambins. Cette passion mémorable est durablement installée au cœur de l’homme, fut-il devenu plus que septuagénaire et attaché à de bien plus graves sujets. Rien, aucun écolo tendance tristos, ne parviendra à nous donner mauvaise conscience au sujet de ce besoin estival de s’agglutiner au bord des rues du village, France entière, pour voir regarder passer le Tour. Surtout que ce sera la première fois de notre vie d’homme, et, d’après la mémoire, la première fois dans la vie du village.
Tout le monde est venu, sauf ceux qui travaillaient en ville (il en faut bien…). Les retraités et les enfants sont aux premières loges. Les dames sont assises sur des sièges pliants opportunément sortis des garages où l’on range le matériel de camping ou de pique-nique.
On a fait une marche d’approche épuisante sous le soleil à son zénith, été frôlé par des véhicules pressés de passer « avant que ça bloque ». Peine perdue ça bloque déjà, depuis longtemps. Des bénévoles, requis par la commune, équipés de gilets jaunes, sont postés aux carrefours qu’ils gardent avec une fermeté de gendarmes aimables. C’est quand même une fête qui s’annonce, on ne va pas se fâcher un jour pareil. Les plus grincheux finissent par consentir à se « garer sur le côté ». Ils cessent de rechigner et sortent à leur tour du coffre les impediments du spectateur de base du Tour de France. On voit quelques bouteilles de rosé et paquets de chips passer de main en main. Des mini-parasols poussent sur les trottoirs. Des gamins crient et sautillent sans cesse. Il y a une atmosphère de cour de récréation. Puis les esprits se calment et le silence s’installe dans le village.
L’attente du Tour est interminable. On annonce la « caravane publicitaire » pour dans une heure et les coureurs dans deux heures ! Le silence devient inouï au bord de cette route d’habitude stridente. « C’est comme pendant le confinement », dit un voisin, on n’entendait pas une bagnole, pas une moto ». Le silence est si intense qu’il en deviendrait pesant, angoissant. En tout cas il pousse à la réflexion intuitu personae. Que fait-on là, badaud commun, à attendre le cortège des Cochonou, des bonbons Haribo, de l’eau de Vittel, de l’huile Puget et de toutes ces camionnettes colorées et hurlantes qui vont distribuer à pleines poignées des bricoles sur lesquelles fondront, comme des mouches, les gamins, dont les parents ont eu la bonne idée d’apporter sacs et cabas pour remporter le petit butin à la maison. Passent soudain des motards de la gendarmerie, des minibus de l’organisation et des sponsors du Tour. « N’oubliez pas de mettre vos masques, mesdames et messieurs », hurle un haut-parleur du genre de ceux qui, d’habitude, annoncent pour le soir même la présence d’un cirque sur la place des fêtes.
Arrive enfin la caravane désirée. Elle fait pendant un bon quart d’heure un vacarme assourdissant. On n’entend même pas les acclamations qui sortent de toutes les bouches, on fait de grands signes désespérés aux jeunes gens qui, sur la plateforme des camionnettes distribuent leurs colifichets.
→ EXPLICATION. Caravane du Tour de France : son histoire et ses dates clés
Les adeptes du « Stop pub » ont oublié leurs convictions. Il faut attirer l’attention des distributeurs roulants. Malheureusement, ils passent très vite, 70 à l’heure. Comment voulez-vous qu’ils vous repèrent vous, les isolés. Une grand-mère ramasse les miettes tombées des poids lourds : « Ça fera un plaisir fou à mes petits-enfants ». On se souvient des années cinquante ou soixante quand le pastis national passait distribuant casquettes et chapeaux de papier jaune. Fini, aucune marque d’alcool ne figure dans le cortège fonçant. La société serait-elle devenue sage, à force de beuveries et d’excès en tous genres ?
Après le rapide passage de la caravane, nouvelle plage de silence. Très long silence, trop long. La vraie cérémonie sportive tarde. On est venu voir des cyclistes, des champions aux noms impossibles à mémoriser. « Comment s’appelle-t-il déjà le maillot jaune ? » « Grolic, ou Rodic ». « Mais nom, c’est Dorlic, un Serbe ». « Pas du tout il est Slovène ». « On n’a pas idée. C’est où la Slovénie ? » On avait gardé la nostalgie des ancêtres familiers, les Robic, Bartali, Coppi, Walkowiak, Poulidor, Simpson puis les Hinault, Fignon, Merckx, mais de Slovènes, jamais. Qu’allons-nous devenir si les Européens de l’Est, déjà coupables de vols d’emplois, nous piquent les premières places au palmarès des forçats de la route ? France, ton Tour fout le camp..
Et cela dure, dure, cette attente étouffante et silencieuse. Certains sont sur le point de défaillir, au bord de l’apoplexie et de l’hypothermie. Tout à coup, mouvement de foule en direction du virage où «ils » doivent apparaître. Ils arrivent! Et chacun brandit son portable pour immortaliser une scène qui dure trois secondes et demie : un passage de coureurs lancés à toute allure. Un feulement de pneus glissant sur le bitume écrasé de chaleur, un premier groupe, penchés sur leur guidon. On entend des cris poussés dans une langue incompréhensible. Est-ce qu’on se dispute au sein d’une échappée ? Nous, sur le bord nous échangeons sur les portables qui n’ont pas fonctionné, sur ces coureurs qui passent trop vite pour qu’on voie même leurs visages, ou le maillot jaune imprononçable enfoui dans l’anonymat du peloton, sur le fait que «ça passe trop vite ».
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Dans les têtes commence à s’installer un sentiment de frustration : tout ça pour ça ? Ces quelques secondes ? Le Tour c’est un moment fugitif, comme une fusée rasant le sol, précédée et suivie d’un long silence. Tout matériel replié, chacun ravale sa frustration et repart vers ses pénates la tête pleine d’un souvenir de plus. Les plus vieux disent: «Je n’ai pas repéré Louison Bobet ». «Il est mort, depuis longtemps mon pauvre ami, il faut vous y faire » … Dopage ou pas, pub ou pas, nostalgie ou pas : le Tour de France est éternel.
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