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Matisse, une vie en couleurs

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Matisse, une vie en couleurs

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Henri Matisse est un formidable illusionniste. Dans Intérieur aux aubergines, il transforme une banale nature morte – trois aubergines posées sur une table au milieu de l’atelier – en un kaléidoscope chatoyant de motifs décoratifs. Tout semble fait pour désorienter le spectateur. Faussant la perspective, le miroir à gauche de la composition renvoie un reflet déformé de la scène tandis que la fenêtre à droite ouvre sur un paysage qui reprend étrangement les couleurs de la pièce, comme un tableau dans le tableau. Les opulentes fleurs bleues du papier peint, qui envahissent sol et plafond, achèvent de provoquer une sensation de vertige.Peint en 1911 et offert par la famille de Matisse au Musée de Grenoble onze ans après, ce tableau monumental par sa taille (2,50 m × 2 m) et sa qualité est l’une des formidables redécouvertes offertes par l’exposition du Centre Pompidou. Cette fragile détrempe à la colle n’a quitté que trois fois son refuge alpin en un siècle ! En attendant la réouverture du musée, on peut l’admirer lors d’une visite virtuelle (1), parmi une douzaine d’œuvres jalons choisies par la commissaire Aurélie Verdier pour retracer l’évolution matissienne, de La Liseuse au Nu bleu 4, peint par Matisse deux ans avant sa mort.Privée des grands prêts russes et américains qui avaient fait le succès de la magistrale exposition parisienne de 1993, la conservatrice du Musée national d’art moderne a su tirer parti des ressources hexagonales, d’une richesse insoupçonnée en dépit de l’intérêt tardif des institutions françaises pour le peintre (les achats majeurs datent de l’après-guerre !). Le parcours puise essentiellement dans les collections du Centre Pompidou (80 peintures et sculptures, 180 œuvres graphiques) et dans celles des musées monographiques du Cateau-Cambrésis, la ville natale de l’artiste, et de Nice, sa ville d’adoption. De beaux prêts privés et une poignée de toiles venues de Suisse, d’Allemagne ou du Danemark complètent la sélection, à l’image de cet intense autoportrait en polo rayé, où Matisse ressemble étrangement à son rival Picasso.Peintures, mais aussi dessins, gravures et sculptures sont mis en perspective par les réflexions d’écrivains, d’historiens de l’art, proches de Matisse et témoins privilégiés de son travail. Une approche littéraire, originale, que met en valeur le podcast (2) proposé par le Centre Pompidou, nourri de nombreux extraits et citations. « À quel moment Matisse devient Matisse ? », s’interroge Louis Aragon dans son anthologie Henri Matisse, roman (1971), fruit de treize années d’entretiens.L’artiste mettra effectivement du temps à trouver son style. Ses toiles des années 1890 sont encore imprégnées des longues heures passées à copier les maîtres du Louvre, tel Chardin. Fils d’un grainetier du Nord, le jeune homme a débarqué à Paris pour étudier la peinture et « se faire une vision », selon la formule de son aîné Cézanne, dont il admire le travail et dont il achète à 20 ans à peine, et malgré des moyens modestes, Trois baigneuses, qu’il donnera au Petit Palais.Sa palette, réduite au début à des tons bistre et terre, s’éclaircit et se tonifie au fil de ses voyages à Belle-Île-en-Mer puis en Corse, où il séjourne avec son épouse Amélie en 1898. Sur les rives de la Méditerranée, de Saint-Tropez à Collioure, il s’essaie au pointillisme, vanté par son ami Signac. Dans le superbe Port d’Abaill (1905), conservé dans une collection particulière, l’explosion de touches chamarrées fait vibrer la lumière, animant les travailleurs comme les voiles des bateaux. Mais cette technique ne le satisfait pas totalement et ses expérimentations le conduiront la même année à la révolution « fauve ».Matisse ne cessera plus de jouer des contrastes entre les couleurs « remplies d’air pur » et les lignes noires des dessins, porté par une incessante « exigence de l’invention » saluée par Aragon. Montrant toutes les étapes de son cheminement, des pétillants collages de Jazz aux travaux aériens inspirés par son séjour en Polynésie, l’exposition s’achève sur son œuvre d’art totale : la chapelle du Rosaire de Vence, dont on admire des esquisses au fusain du chemin de croix, les maquettes de chasubles en papiers gouachés et les projets de vitraux monumentaux, « centre ardent de l’église », selon Matisse. Un éblouissement.

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