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Mon adieu à Hong Kong

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Mon adieu à Hong Kong

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J’y ai vécu les années les plus intenses de ma vie de jeune journaliste. Après des années à sillonner un continent sud-américain secoué par les révolutions marxistes et les coups d’État militaires, je découvrais une autre facette de la planète.Comparativement à tous les vieux sinologues et autres China watchers (observateurs de la Chine) repliés à Hong Kong depuis l’arrivée de Mao au pouvoir en 1949, j’avais des repères culturels différents. Moi qui ne parlais ni ne lisais le mandarin (j’en ai souffert au début), je n’étais guère crédible à leurs yeux.Mais cette candeur, dénuée de tout préjugé politique, était aussi un atout. Pour moi, il ne s’agissait pas de « penser » la Chine, comme le dénonçait un siècle plus tôt l’intellectuel chinois Lin Yutang, mais de « ressentir les Chinois ».Les observer, les écouter et tenter de les comprendre. De la même manière qu’avec les Indiens jivaro réducteurs de têtes, en Amazonie équatorienne, chez qui j’avais passé plusieurs mois en 1982 et 1983 pour ma maîtrise d’ethnologie. Deux univers. Une même humanité.Quelques années plus tard, je n’imaginais pas plonger dans une jungle du troisième type, tout aussi dense mais urbaine. Autant vous l’avouer, si « l’enfer vert » était loin d’être idyllique, « l’enfer gris » de Hong Kong n’avait rien de paradisiaque. On s’y sent bien ou on s’y sent mal.Mais où pourrais-je me sentir mal ? Surtout lorsqu’une sourde intuition me murmurait que je venais de m’installer aux premières loges d’une immense salle d’opéra où allait se jouer l’avenir du monde : le réveil de la Chine. Pour le meilleur comme pour le pire.Les loyers exorbitants m’ont contraint à manger beaucoup de nouilles et de riz, denrées alimentaires les moins onéreuses. D’une colline de North Point, juste à côté du Parc Victoria où démarrent toutes les manifestations ou les veillées en souvenir du massacre de Tian An Men, je sentais vibrer les Hongkongais. Une vie de bohème pimentée à la sauce soja, loin du confortable mode de vie des expatriés.« Nous étions en danger et les lumières de Hong Kong incarnaient la liberté et la fin des souffrances »Yuen Ming LauProche du petit peuple hongkongais dans les gargouilles huileuses des quartiers de Mongkok où les immeubles-usines (fabriquant fleurs en plastique, montres, petite électronique ou jouets) tournaient encore à plein régime, où l’âme hongkongaise pleine de sueur se dévoilait dans toute sa nudité. Hommes, femmes et même enfants trimaient jour et nuit dans la touffeur et la moiteur de l’été.À cette époque, à la fin des années 1980, Hong Kong la ville-usine était aussi une ville-refuge. L’exotique carte postale de la magnifique baie de Hong Kong hérissée de gratte-ciel, traversée par son centenaire Star Ferry vert et blanc qui transportait chaque jour des millions d’employés de Kowloon à l’île de Victoria, avec ses hypnotiques néons de couleur, dissimulait une réalité sociale et politique moins glorieuse.Rencontré dans son dortoir près d’Aberdeen, Yuen Ming Lau m’avait révélé, sans le savoir, ce qui avait fait la splendeur de Hong Kong : « À 21 ans, j’ai fui la Chine à la nage pour rejoindre Hong Kong. Plusieurs membres de ma famille étaient morts de faim pendant le Grand Bond en avant en 1960, et pendant les purges de la Révolution culturelle en 1969 mon grand-père instituteur a été poussé au suicide par les gardes rouges… Nous étions tous en danger à cette époque, et les lumières de Hong Kong incarnaient la liberté et la fin des souffrances. » Les années 1980 sont considérées comme un « âge d’or ». Les denrées qui transitaient par la « perle de l’Orient » – thé, soie, opium, puis électronique,  textile, jouets – ont fait la fortune de quelques-uns. Les autres survivaient dans la ville moite et bouillonnante. / Alamy/Hemis.fr Comme des dizaines de milliers de Chinois du continent ayant fui la Chine en 1949, dans les années 1950 ou les années 1960, Yuen Ming Lau a échappé à la mort. Les trois quarts des Hongkongais étaient des « victimes » du communisme, des « affamés », des « SURVIVANTS ».Prêts à tout pour recommencer leur vie, déterminés à vivre libres et à s’enrichir. J’ai compris ce jour-là l’origine profonde de l’énergie humaine qui alimente ce « port parfumé » (traduction de Hong Kong). Une terre d’opportunités.Ce dynamisme vous étourdissait dès l’atterrissage à l’aéroport de Kai Tak, un des poumons de la cité, posé sur l’eau au cœur de la ville. Arrivant d’Europe, c’était un choc. Tout allait beaucoup plus vite ici, comme s’il s’agissait d’une question de vie ou de mort. La rêverie et la lenteur n’y avaient pas leur place. La « survie » seule dictait le rythme du quotidien.« Si je ne travaille pas le dimanche, je ne sais pas quoi faire, je m’ennuie »Philip LamPrendre un congé, ou même dormir, était perçu comme une insupportable perte de temps… et d’argent. La vie en état d’urgence. Le mot « vacances » y était banni, ou peut-être n’existait-il même pas dans le lexique local. Avoir échappé à la mort sur le continent imposait de « vivre doublement », en hommage aux défunts laissés derrière soi et dans l’espoir d’une vie meilleure pour ses enfants.« Si je ne travaille pas le dimanche, je ne sais pas quoi faire, je m’ennuie », m’avait lâché Philip Lam en 1987. Fils de migrants, à l’âge de 8 ans il allait travailler le soir dans l’atelier textile de ses parents après l’école : « Enfant, je ne dormais que cinq ou six heures par nuit. »Au quotidien, dans les boutiques, les marchés, les restaurants ou dans les rues, la foule se bousculait. Aux arrêts de bus, en dépit des panneaux intimant de « faire la queue », c’était l’anarchie, la lutte pour un siège. Des bousculades darwiniennes. Et les petites grands-mères n’étaient pas les dernières à jouer des coudes et des épaules pour s’engouffrer dans les bus à double étage (espace fumeur au premier). Les chauffeurs roulaient à tombeau ouvert, à vous donner le mal de terre. Encore la « survie », la peur de manquer, de ne pas trouver sa place.Dans le métro, le Star Ferry ou à la gare, d’autres affiches ne manquaient pas de me surprendre : « Do not spit », « Ne pas cracher ». Les réfugiés chinois avaient apporté cette habitude paysanne de cracher. En Chine, il y avait des crachoirs. La royale Hong Kong coloniale ne pouvait le tolérer.Autre réalité marquante dans ce tourbillon hongkongais, peut-être la plus crispante et épuisante pour un Occidental qui débarque : l’impression que les Hongkongais ne parlent pas… mais crient. Si dans la foule il faut parler fort pour se faire entendre, les décibels de la langue cantonaise semblent être toujours dans le rouge. Si « la langue est le reflet d’une culture », comme le disait le grand linguiste et anthropologue Edward Sapir, la phonétique cantonaise enveloppe l’âme des Hongkongais. Énergique et survitaminée.Le mandarin est une langue à quatre tons. Déjà un défi. Mais le cantonnais chante, hurle sur huit et même dix tons… ! Rien d’étonnant à ce que très peu d’Occidentaux s’y aventurent. Seuls les policiers britanniques et les missionnaires le maîtrisent, disait-on à l’époque. Nécessité fait loi.Avec le temps, on apprend à le décoder. C’est d’abord une langue qui claque comme une rébellion puis qui s’étire dans une complainte colérique ou admirative. D’où l’impression, fausse bien sûr, pour les oreilles latines, que tout le monde s’engueule en permanence.Mon grand jeu, après avoir rapidement fait la distinction entre le mandarin et le cantonais (facile), était de deviner (plus difficile), à l’ouïe, si deux personnes se disputaient où se congratulaient… Encore aujourd’hui, il me faut toujours observer les traits du visage pour le découvrir.Après quelques années, acculturation oblige, vous commencez à aimer cette langue, car elle vous prend aux tripes. En juin 2019, trente ans après mon premier séjour, au cœur d’une manifestation contre les ingérences liberticides de Pékin qui avait rassemblé plus de deux millions de personnes criant « Gloire à Hong Kong ! », j’ai senti que cette langue était aussi devenue une arme au service de la révolte. Une langue qui veut se faire entendre jusqu’à Pékin, à plusieurs milliers de kilomètres de là. Au point de faire trembler les tours de verre et d’acier du quartier des affaires de Central.« Si Adam et Ève avaient été cantonais, Ève n’aurait jamais croqué la pomme mais dévoré le serpent ! »Historiquement, le pouvoir à Pékin a toujours considéré les 80 millions de Cantonnais de la province méridionale du Guangdong (qui jouxte Hong Kong) comme des insoumis et des rustres sauvages. Leur langue, incompréhensible des fonctionnaires impériaux, n’y était pas pour rien. Et leurs pratiques alimentaires singulières les plaçaient au bas de l’échelle humaine : « Les Cantonnais mangent tout ce qui marche, rampe et vole », dit l’adage. Tout.Elles dégoûtent les autres Chinois, mais les Cantonnais en sont fiers, car avoir un estomac d’acier est un signe de bonne santé. Les Hongkongais s’en enorgueillissent et les revendiquent comme un nouveau pied de nez à Pékin. Jusque dans les milieux catholiques locaux qui m’ont très vite raconté une blague entrée dans les annales : « Si Adam et Ève avaient été cantonais, Ève n’aurait jamais croqué la pomme mais dévoré le serpent ! » Hilarité générale assurée ! L’humour et l’autodérision hongkongaise permettent d’affronter les crises les plus graves avec la capitale impériale.Les années 1980 sont considérées comme une forme « d’âge d’or » pour Hong Kong, dont le destin a toujours été lié à la Chine continentale. Après le thé, la soie et l’opium qui transitaient par son port en eau profonde et qui ont fait la fortune d’une poignée de commerçants, chinois comme britanniques, l’électronique, le textile et les jouets ont fait de Hong Kong un « dragon d’Asie ». Dont j’ai vécu les dernières années. La plupart des Hongkongais, dans les années 1980, avaient fui la Chine continentale. La ville symbolisait la liberté (ici, une file d’attente devant un cinéma), la fin des souffrances et une terre d’opportunités. / Alamy/Hemis.fr Car déjà à la fin des années 1980 s’ouvrait une nouvelle ère. Hermétiquement fermée pendant des décennies, la voisine chinoise s’entrebâillait frileusement pour tourner la page tragique du maoïsme. La zone économique spéciale (ZES) de Shenzhen, juste de l’autre côté de la frontière avec Hong Kong, tendait ses bras aux industriels étrangers, qui se sont rués sur place.Les grandes fortunes hongkongaises ont investi et délocalisé en masse toutes leurs usines sur le continent. Hong Kong découvre une Chine exsangue, arriérée, sous-développée. On doit faire la queue pour un billet d’avion pour la Chine. Les avions sont encore rares, et peu sûrs. Les vieux appareils de la compagnie nationale chinoise, la CAAC, font grise mine face aux Boeing 747 de la meilleure compagnie du monde d’alors, Cathay Pacific. Mais à Hong Kong, un visa pour la Chine s’obtenait en une journée, alors qu’à Paris cela prenait une éternité.On découvre les équipages de la CAAC. Hôtesses et stewards sont un peu débraillés, portent des uniformes froissés et jettent des petits pains insipides sur les tablettes, sans un sourire. Durant les vols, ils font la sieste sur les sièges arrière. Les accidents sont fréquents. La réputation de la CAAC était si exécrable que les Hongkongais, un soupçon hautains, avaient fabriqué des tee-shirts et imprimé de grands posters qui représentaient un avion de cette compagnie en perdition avec des passagers affolés, sous-titrés du slogan « I survived CAAC », « J’ai survécu à la CAAC ».L’anecdote prêterait à sourire, mais elle reflétait tout autant l’état économique désastreux de la Chine qu’un incontestable sentiment de supériorité des Hongkongais. Sinon un mépris à peine voilé pour une Chine communiste miséreuse qu’ils avaient fuie pour rejoindre la « civilisation », le bien-être et la modernité.À Hong Kong la flamboyante apparaissaient déjà les premiers téléphones portables, exhibés comme des trophées sur les tables de restaurant par les hommes d’affaires dégustant un bon cognac. En France, à cette époque, on découvrait tout juste avec émerveillement la magie du fax.Ici, tout est possible à qui travaille. Réussir est bien vu.Devant les grands hôtels de la ville, Rolls-Royce et Bentley déposaient des clientes élégantes richissimes ou même des hommes en simple marcel, tout aussi richissimes. Les passants interloqués et admiratifs se retournaient sur leur passage. Aucune jalousie. Ici, tout est possible à qui travaille. Réussir est bien vu. En cette période faste, les Hongkongais n’avaient que l’argent en tête, la soif de faire fortune. Rien ne pouvait les arrêter.Le père des réformes Deng Xiaoping avait appelé la diaspora à soutenir cette nouvelle révolution… économique. Plus de la moitié des investissements étrangers viendront de Hong Kong. L’immense Chine qu’on regardait avec arrogance allait à nouveau faire la fortune de la colonie. Certains avaient des doutes sur la sincérité chinoise, mais beaucoup assuraient que la Chine ne reviendrait plus en arrière… et qu’elle allait même prendre le chemin d’une libéralisation politique.L’immense mouvement étudiant réclamant la démocratie au printemps 1989 a soulevé un immense espoir. Ça devait être le sens de l’histoire et la Chine montrerait le chemin, pensait-on, avant l’URSS et le bloc de l’Est, dont personne n’imaginait la chute quelques mois plus tard. Solidaire de ses frères chinois sur la place Tian An Men et conscient de vivre de manière libre, Hong Kong a soutenu le mouvement en envoyant des secouristes, du matériel et beaucoup d’argent.La liberté et la démocratie pouvaient s’exporter en Chine. Il fallait l’encourager. Hong Kong devait être le fer de lance de ce grand mouvement de libération chinois. Pour beaucoup, c’était aussi simple que ça. Pour protester contre l’imposition de la loi martiale à Pékin le 20 mai, un million de Hongkongais sont descendus dans les rues. Un million ! À Hong Kong ! Là où personne ne manifeste d’habitude.Libre et riche, la colonie britannique se devait d’apporter son soutien aux « victimes » du régime communiste que ses habitants avaient fui. Ce serait une réjouissante revanche sur les drames du passé, pensaient-ils un peu naïvement. Mais lorsque le destin frappe, on lui ouvre la porte, pour le meilleur ou pour le pire.Et le pire arriva. Dans la nuit du 3 au 4 juin 1989, les chars de l’Armée populaire de libération (APL) roulent sur la place Tian An Men. Les soldats tirent sur la foule. Un carnage. Au moins un millier de morts. Les caméras de CNN sont là. Le monde entier assiste à la sanglante répression. Choqués, les sept millions de Hongkongais s’effondrent de colère. Et redescendent dans la rue.« Le massacre de Tian An Men a éveillé ma conscience politique »Jimmy Lai, homme d’affairesEn vingt-quatre heures, la marque de textile Giordano, dont le patron n’est autre que le magnat Jimmy Lai, aujourd’hui cible de Pékin pour avoir critiqué la Chine dans son journal Apple Daily, fabrique des millions de tee-shirts floqués d’un seul mot en plusieurs langues : « Démocratie ».→ À LIRE. À Hong Kong, la police interdit la veillée en mémoire de Tian An Men« Le massacre de Tian An Men a éveillé ma conscience politique », me confiera Jimmy Lai quelques années plus tard, dans son bureau au siège de l’Apple Daily. « Ces étudiants chinois demandant plus de liberté et la fin de la corruption me rendaient fier et me donnaient confiance en un avenir chinois libre et démocratique, aussi bien sur le continent qu’à Hong Kong », racontait ce richissime homme d’affaires ayant fui tout seul la Chine à l’âge de 12 ans et découvert Dieu (baptisé par le cardinal Joseph Zen, la conscience catholique de Hong Kong) à l’âge adulte. Le 1<sup>er</sup> juillet 1997, après cent cinquante-six ans de souveraineté britannique, Hong Kong est rétrocédé à la Chine. / S. SHAVER/AFP Face aux images de chars d’assaut, de cadavres, de vélos broyés et des troupes armées, les Hongkongais ont brutalement compris que d’ici peu leur destin allait basculer face à un nouveau maître : la Chine… qui venait de mitrailler ses enfants.La déclaration sino-britannique signée cinq ans auparavant, en 1984, entre Margaret Thatcher et Zhao Ziyang, entérinait la rétrocession de Hong Kong à la République populaire de Chine le 1er juillet 1997. Selon le principe « un pays, deux systèmes », la Chine promettait de ne rien changer au mode de vie des Hongkongais pendant cinquante ans. Autrement dit jusqu’en 2047. Promis, craché, juré. Parole de Deng.Londres se disait qu’un demi-siècle devait suffire pour voir la Chine évoluer vers un système politique plus libéral, en symbiose avec son ouverture économique vers le capitalisme. La logique occidentale voulait que l’un ne pût aller sans l’autre. Même pour la Chine…→ DÉBAT. Est-ce la fin de Hong Kong ?Terrible désillusion. Le rêve d’une grande Chine démocratique venait d’éclater en morceaux sous les chenilles des chars de l’APL. Je n’avais jamais vu les Hongkongais aussi traumatisés, horrifiés. Ce sanglant électrochoc provoqua une « fuite des cerveaux » vers le Canada, la Grande-Bretagne, l’Australie et les États-Unis. Encore la fuite face à la peur de la répression chinoise, mais cette fois seulement pour les plus riches.Les Britanniques ont contribué à « construire un système juridique solide garantissant les libertés individuelle »Le gouverneur Chris PattenTerrorisés, de nombreux amis proches l’ont envisagée, en secret, sans en parler à quiconque. Pas même à leurs parents. Peine perdue. Pas assez diplômés, pas assez fortunés, comme la majorité des Hongkongais. Encore survivre mais avec l’angoissante perspective d’être sous la coupe d’un régime dictatorial qui risque de leur voler leur liberté. Le drame du « 06-04-89 » venait de mettre un terme à une longue ère d’insouciance politique. La fin de l’innocence.Quelques années plus tard, le 1er juillet 1997, après cent cinquante-six ans de souveraineté britannique, sous une pluie battante – « une météo tout anglaise », souriaient certains ; « le ciel pleure », sanglotaient les autres –, le dernier gouverneur de la colonie britannique, Chris Patten, passait le relais à son successeur, l’armateur hongkongais Tung Chee-hwa, désigné par Pékin.Avant de monter à bord du yacht royal Britannia et de quitter le territoire, il n’a pas manqué de rappeler que « Hong Kong est une ville chinoise, très chinoise », et que ses habitants s’étaient efforcés de bâtir une société stable, paisible et riche. La contribution britannique n’avait consisté « qu’à construire un système juridique solide dont nous sommes fiers, garantissant les libertés individuelles et laissant derrière elle une société imprégnée de valeurs universelles », ponctua-t-il.ChronologieDes guerres de l’opium à l’emprise chinoise1842Au lendemain de la première guerre de l’opium en 1839, est signé le traité de Nankin : les Chinois cèdent aux Britanniques l’île de Victoria à perpétuité.1860Après la deuxième guerre de l’opium en 1856, signature de la convention de Pékin qui cède à perpétuité la péninsule de Kowloon aux Britanniques.1898Un bail de 99 ans pour les Nouveaux Territoires est signé entre Londres et Pékin. Échéance fixée à 1997, date de la rétrocession totale de Hong Kong (île de Victoria et Kowloon), négociée en 1984.1912 Proclamation de la République de Chine. Fin du système impérial. 1941-1945 Le Japon occupe Hong Kong.1949 Victoire des communistes chinois sur les nationalistes. Proclamation de la République populaire de Chine par Mao Zedong. Hong Kong est un refuge pour ceux qui fuient la répression.1966-1976 Révolution culturelle en Chine ; Hong Kong accueille des milliers de réfugiés continentaux.1976 Mort de Mao.1984 Signature de la déclaration sino-britannique par Margaret Thatcher et le premier ministre chinois Zhao Ziyang.1989 Massacre d’étudiants sur la place Tian An Men à Pékin. Protestations monstres à Hong Kong.1997 Le 1er juillet, rétrocession de Hong Kong à la Chine, qui a promis de respecter le concept d’« un pays, deux systèmes » appliqué à ce qui s’appelle désormais la région administrative spéciale de Hong Kong (RASHK). Elle devait jouir d’une très large autonomie intérieure pendant cinquante ans.2003 Une première tentative d’imposer une loi sur la sécurité intérieure provoque des manifestations. La loi est finalement retirée.2014 À l’automne, une partie de Hong Kong est paralysée par des milliers de manifestants (« mouvement des parapluies ») qui rejettent la réforme politique imposée par Pékin pour l’élection du prochain chef de l’exécutif en 2017. Le gouvernement ne cédera rien. Rejet du suffrage universel direct pour cette élection.2019 De juin jusqu’à l’épidémie de coronavirus importée de Chine, plusieurs millions de Hongkongais manifestent contre l’imposition d’une loi sur l’extradition. Les revendications s’étendent pour demander plus de démocratie.2020 Pékin impose le 1er juillet la loi sur la sécurité nationale (LSN), jugée liberticide par les opposants pro-démocratie. En dépit des restrictions sanitaires, les Hongkongais résistentà ce projet politique chinois visant à les faire rentrer dans le rang. Manifestation non-autorisée, en septembre 2019. Sur le drapeau chinois détourné, on peut lire « Faire confiance au Parti communiste chinois ? Sérieusement ? » Les marches de protestation ont commencé en juin 2019 et n’ont été interrompues que par les restrictions sanitaires dues au coronavirus / LAM YIK FEI/NYT/REDUX/REA Mais pas la démocratie pour l’élection de la totalité des députés ni le suffrage universel direct pour l’élection du chef de l’exécutif. Des promesses ont été faites dans ce sens, mais Londres n’avait pas pris le temps de les graver dans le marbre d’une Constitution démocratique. Le grand magazine économique américain Fortune n’avait pas hésité à titrer en une, dès 1995, « La mort de Hong Kong », sur fond de coucher de soleil. Sombre prémonition.« Loin des discours, des concerts et des cocktails qui avaient marqué cette première journée sous souveraineté chinoise, avais-je écrit dans La Croix datée du 1er juillet 1997, le petit peuple s’était réfugié chez lui, regardant avec circonspection cette transition historique au sujet de laquelle ils n’avaient jamais eu son mot à dire. »Je poursuivais : « Une nouvelle ère chinoise s’ouvre pour Hong Kong, pleine de doutes, d’incertitudes et d’inconnues sur le respect des libertés et des valeurs démocratiques », pour conclure mon article ainsi : « Mais comme par le passé, Hong Kong saura sans aucun doute trouver l’énergie et le dynamisme nécessaires pour surmonter d’éventuelles douloureuses épreuves. »La greffe ne pouvait pas prendre. Hong Kong a fait un rejet de l’organe chinois qui la dévore.Conclusion lucide et sans illusions, mais jamais je n’aurais imaginé que, vingt-trois ans plus tard, la Chine allait sacrifier Hong Kong sur l’autel de la suprématie du Parti communiste et de la survie politique de son leader Xi Jinping. La cohabitation contrainte avec la Chine a terni l’éclat de la « perle de l’Orient ». La greffe imposée ne pouvait pas prendre. Hong Kong a fait un rejet de l’organe chinois qui la dévore.Pékin peut clamer aujourd’hui avoir « ramené la paix » à Hong Kong, elle a perdu à jamais l’esprit et le cœur des Hongkongais. Xi Jinping se targue d’avoir stabilisé la situation, grâce au virus, aux forces anti- émeutes et à la lâche complicité d’un gouvernement diplômé d’Oxford ou Cambridge, qui a brutalement retourné sa veste.→ EXPLICATION. À Hong Kong, seule compte la voix de PékinMarionnettes de Pékin, ces leaders hongkongais possèdent un passeport britannique, américain ou canadien, pays où ils envoient étudier leurs enfants. Face à leurs hypocrisies et à leurs mensonges, la résistance clandestine s’est organisée avec l’énergie du désespoir.Autrefois considérée comme la plus courtoise et bienveillante d’Asie, la police hongkongaise a troqué en l’espace de quelques mois ses chemisettes à manches courtes contre d’effrayantes armures. Face à des millions de manifestants pacifiques réclamant le maintien des libertés, les policiers ont changé leur stylo contre des matraques, puis des gaz lacrymogènes et enfin des fusils.Ces nouveaux Robocop ont tabassé de jeunes enfants, des femmes enceintes et des vieillards qui manifestaient dans le calme. Ils ont arrêté et torturé des étudiants dans les commissariats. Des jeunes filles ont été agressées et violées dans les geôles sombres de plusieurs postes de police.De très lourds soupçons pèsent également sur des policiers en civil qui auraient kidnappé et assassiné des dizaines de jeunes Hongkongais avant de maquiller leurs crimes en suicides. Des corps dénudés ont été retrouvés dans les eaux du « Port parfumé » où flotte une odeur de mort.« Je n’ai pas peur de mourir. Si nous ne nous battons pas maintenant, nous ne vivrons plus jamais libres ! »Xi Jinping a défiguré Hong Kong en quelques mois. Il en a fait une fabrique de dissidents et d’exilés politiques, comme en Chine. Jusqu’ici, on parlait de « dissidents chinois » comme Wei Jingsheng, Liu Xiaobo ou Ai Weiwei. Aujourd’hui, on parle de Nathan Law exilé à Londres il y a quelques mois, Ray Wong et Alan Li en Allemagne en mai 2019, ou le libraire Lam Wing-kee à Taïwan en avril 2019.→ LES FAITS. Violente répression policière à Hong KongDepuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012, le régime chinois est destructeur. De « sino-compréhensif », parfois admiratif (avec raison) tout en restant lucide, je suis devenu sino-sceptique. Avec le sentiment amer d’avoir été trompé, floué, trahi. La planète est contaminée par un virus échappé de Wuhan qui a fait plus d’un million de morts. Les Chinois endurent. Le Xinjiang agonise. Le Tibet est mort. Et Hong Kong résiste.En première ligne des manifestations de 2019, une jeune fille de 20 ans m’avait raconté son engagement et le « no limit » de ses actions : « Je n’ai pas peur de mourir. Si nous ne nous battons pas maintenant, nous ne vivrons plus jamais libres ! Pékin veut faire de Hong Kong une ville chinoise comme les autres, aux ordres du Parti communiste, surveillée par des milliers de caméras… Je suis prête à mourir pour éviter un destin aussi tragique. » Et la voilà qui sort de son sac à dos une feuille de papier pliée en quatre. « J’ai rédigé mon testament. » → ÉDITORIAL. Xinjiang, Hong Kong : bouder la ChineTandis que dans d’autres parties du monde on rêve de la liberté, cette génération hongkongaise l’a toujours connue comme une évidence, elle était la colonne vertébrale de son identité. Dans l’angoisse de la perdre, la défendre sera un combat féroce. À mort. « L’instinct de survie » hongkongais originel a muté en « esprit de résistance ». « Arrêtez de nous tuer » disent les pancartes. En juin 2019 un projet de loi autorisant l’extradition de citoyens hongkongais vers la Chine continentale déclenche des manifestations massives. Le projet est finalement retiré deux mois plus tard, mais cela n’apaisera pas les manifestants. / M. Candela/SOPA Images/ZUMA/REA Pour aller plus loinUn récitHong Kong et MacaoJoseph Kessel raconte le voyage qu’il a effectué à Hong Kong et Macao à la fin des années 1950. Il y décrit la misère omniprésente dans ces deux territoires et les moyens dont les habitants usent pour s’en sortir (trafic d’opium, d’enfants, prostitution). Les réfugiés fuyant le communisme de Mao débarquent en masse à Hong Kong, où règnent l’« État de droit » et la liberté d’entreprendre.Gallimard, 1957, Folio, 256 p., 6,90 €.Un livreHong Kong, l’insoumise, de la perle de l’Orient à l’emprise chinoiseAfin de comprendre comment la « perle de l’Orient », où cohabitait le meilleur de l’Occident et de l’Orient, en est arrivée à (re)devenir une terre de résistance acharnée, la lecture de l’ouvrage historique de François Bougon, un spécialiste du monde chinois (Chine, Hong Kong, Taïwan), est un éclairage indispensable.Éd. Tallandier, 268 p., 19,90 €.Un filmIn the Mood for LoveUn des plus beaux films du réalisateur hongkongais Wong Kar-wai qui évoque une histoire d’amour très romantique dans le Hong Kong très pudique des années 1960. Nommé pour la Palme d’or à Cannes en 2000. Cette année-là, Tony Leung obtiendra la palme du meilleur acteur. Un chef-d’œuvre cinématographique !2000, 1 h 38, disponible en DVD.Une comédieCrazy Kung-FuUne comédie hongkongaise hilarante de Stephen Chow. Tous les ingrédients y sont :les triades, les maîtres du kung-fu (culture spirituelle), des scènes de combat impressionnantes, la gastronomie, la force des femmes, la bêtise des hommes, un humour hongkongais à vous tordre de rire. Ce film a remporté de multiples récompenses à travers le monde.2005, 1 h 39, disponible en DVD et VOD..

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