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à proprement parler Paix
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Le 26 juin 1965, un homme déjà mûr, ancien Résistant originaire de Moselle, soutenait sa thèse de philosophie politique à la Sorbonne. Il s’appelait Julien Freund. Son jury ne comptait que des grands noms : Raymond Aron, Paul Ricœur, Jean Hyppolite… Il se trouve que ce dernier était un pacifiste convaincu, socialiste un rien utopiste. Aussi, quand Julien Freund défendit devant lui l’idée selon laquelle la vie politique est indissociable de la relation ami-ennemi, laissa-t-il échapper ce cri du cœur : « Si vous avez raison, si toujours nous aurons des ennemis, alors je n’ai plus qu’à cultiver des carottes dans mon jardin ! » à quoi Julien Freund répondit : « Le problème, c’est que votre ennemi viendra vous chercher même dans votre jardin. »On comprend Jean Hyppolite : face à tant de conflits, tant de guerres, intestines ou déclarées, on voudrait reprendre ses billes et aller voir ailleurs. Mais pour aller où ? Il n’y a aucun endroit au monde où se retirer du monde. Il n’est nulle cachette qui ne se situe déjà dans le monde qu’on voudrait fuir. Nous sommes exposés, dans un monde où l’ennemi est plus certain que l’ami. Car tandis qu’il faut deux amis pour que l’amitié ait lieu, il suffit d’un ennemi pour entraîner l’autre dans le cercle de l’inimitié. On proposerait en vain son amitié à qui n’en veut pas alors que, si quelqu’un se déclare votre ennemi, vous l’êtes devenu de fait, que vous le vouliez ou non. Pour le dire autrement dit : on déclare parfois la guerre, jamais la paix.Qu’est-ce donc que la paix ? La neutralisation provisoire de l’ennemi. Dans cette optique, les pacifistes, qui désirent une paix mondiale et perpétuelle, sont des impérialistes qui s’ignorent : il faudrait, à les suivre, qu’une puissance unique neutralise les autres. Entre pays, délimités par la frontière (par le « front » où le combat, potentiellement, fait rage), la paix est au mieux un équilibre précaire, au pire l’alliance contre un ennemi commun.Le mot paix ne nous fait-il rien d’autre que cette triste leçon ? Écoutons-le. Il vient d’une expression qui est une salutation : « Pais ! » en français, « Paese ! » en italien. C’était le signe qu’on s’échangeait entre gens d’un même « pays ». Paix et pays sont donc de même facture. Le pays ne se définit pas d’abord par sa frontière puisque, originairement, il est ce qu’on souhaite à celui qu’on rencontre. Il ressemble au Royaume pour l’annonce duquel Jésus envoie les soixante-douze, en leur demandant, chaque fois qu’ils entrent dans une maison, de déclarer : « Paix sur cette maison ! » (Lc 10, 5). L’histoire du Salut commence par une salutation. Et il n’y a peut-être de paix et de pays, de Salut même, que couronnés d’un point d’exclamation. La paix ? C’est, comme l’on dit, « simple comme bonjour ».Contrairement à ce que nous avons dit, il y a peut-être quelque chose comme une déclaration de paix – une paix que je nommerais « offensive » ou conquérante. Les disciples de Jésus, allant au monde, enveloppaient ce dernier dans le Royaume. Une telle paix n’a rien d’impérialiste. Elle se propose sans s’imposer. Mais elle est invincible : s’ils n’en veulent pas, ajoute Jésus, que cette paix rejaillisse sur vous (Lc 10, 6). On n’a pas le droit de contraindre l’homme au Royaume. Mais on serait fautif de ne pas le lui proposer.À l’heure des gestes barrières et d’un probable confinement, je propose cette salutation, à voix forte, à travers les masques ou par les fenêtres de nos prisons domestiques : « Paix sur votre maison ! »
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