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Patrons, comment tenir

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Patrons, comment tenir

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L’entreprise de Jérôme Concy n’aura pas résisté à la crise sanitaire. Avec sa femme, cet ancien responsable d’exploitation dans le cinéma avait fondé en 2012 une société de services à la personne dans le vignoble nantais. Après des débuts compliqués, l’entreprise de 40 salariés au chiffre d’affaires annuel de 450 000 € était saine et en plein développement. « Nous prévoyions même de recruter et d’acheter nos propres bureaux… » Mais avec le confinement, l’activité s’est arrêtée du jour au lendemain.« Nous avons très vite mis en place le chômage partiel et nous ne nous inquiétions pas plus que cela », raconte le chef d’entreprise de 48 ans. Sauf qu’au moment du déconfinement, seuls 25 à 30 % des clients ont répondu présent. « Avec le télétravail, beaucoup se sont organisés autrement et les gens avaient peur que quelqu’un d’autre entre dans leur domicile », résume-t-il.Faute de perspectives rassurantes, sa femme et lui ont pris la douloureuse décision de mettre la clé sous la porte. « C’était très dur car nous y avions mis toutes nos économies et fait beaucoup de sacrifices », raconte ce père de deux enfants, qui n’était pas parti en vacances depuis huit ans.Après la liquidation, en juin 2020, Jérôme Concy entre en contact avec l’association 60 000 rebonds (1), qui accompagne des entrepreneurs du Grand Ouest dont la société a été liquidée depuis moins de deux ans. Il est ainsi devenu un « entrepreneur en rebond », bénéficiant d’un accompagnement personnel, avec un coach et un parrain, et collectif avec des réunions et des ateliers d’experts. « Ils sont très à l’écoute, salue-t-il. On ne se sent à aucun moment jugé ni chahuté. Et on noue des contacts avec des entrepreneurs qui ont vécu la même chose, pour des raisons variées. On se sent tout de suite moins seul. »Un soutien utile pour reprendre confiance en soi. « Même si je n’y suis pour rien, j’ai vécu cette fermeture comme un échec, livre-t-il. Quand on crée son entreprise, on n’envisage à aucun moment sa liquidation. » Il a aussi appris à mieux cerner et valoriser ses compétences. « Dans ma vie, je n’avais encore jamais cherché de travail, sourit-il. Il m’a fallu passer de recruteur à candidat. »Embauché comme directeur de magasin dans la grande distribution, Jérôme Concy prépare un autre projet pour février : devenir agent général dans une grande compagnie d’assurances, après une formation interne. De quoi renouer avec l’esprit d’initiative, mais dans le cadre sécurisant d’un grand groupe.« Je suis de nouveau dans une dynamique positive, confie-t-il. 2020 a vraiment été une année catastrophique. 2021 sera une bien meilleure année, pour moi comme pour ma femme, qui vient de trouver un poste dans les data center. J’ai vraiment à cœur de réussir pour remercier les bénévoles de l’association qui m’ont si bien accompagné. »Selon Élise Parois, coordinatrice de l’association à Nantes, encore peu d’entreprises ont baissé le rideau à cause de l’épidémie. « Nous nous attendions à une vague bien plus importante, témoigne-t-elle. Mais beaucoup d’entreprises sont encore très soutenues par l’État. » Ce que confirme Juliette Moreau, psychothérapeute de ­Rebond 35 (2), une cellule d’écoute de dirigeants de la région rennaise : « Le Covid-19 a provoqué un effet de sidération : les chefs d’entreprise font le dos rond pour l’instant. »« Plus le temps avance, plus le mur de la liquidation judiciaire se rapproche : on parle d’une TPE sur trois qui risque la liquidation. Du jamais-vu », explique Jean-François Ferrando, président de la Confédération nationale des très petites entreprises (CNTPE), qui avait enquêté en juin 2020 auprès de ses adhérents pour prendre le pouls de la situation.« Ce qui revient le plus souvent, c’est le sentiment de perte de contrôle, constate-t-il. Les causes sont toutes extérieures : le confinement, le couvre-feu et les horaires qui changent… En ce moment, les politiques décident de la vie et de la mort des chefs d’entreprise. Face à ça il y a ceux qui se rebellent, qui ouvrent quand même. Et il y a ceux qui sont silencieux, tellement silencieux qu’ils vont parfois jusqu’au suicide. »Pour faire face à la situation, et en prévision des difficultés qu’allaient connaître les entreprises, le ministère de l’économie avait mis en place, dès avril, une cellule d’écoute et un numéro Vert qui fonctionne aujourd’hui 7 jours sur 7 de 8 heures à 20 heures (3). Au bout du fil, un des 1 213 psychologues d’Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë (Apesa). Une association née après la crise de 2008 de la rencontre de Jean-Luc Douillard, psychologue clinicien spécialisé dans la prévention du suicide, et Marc Binnié, greffier du tribunal de commerce de Saintes (Charente-Maritime).« On va voir Apesa quand on est extrêmement mal », reconnaît ce dernier. « Nous avons fait hospitaliser immédiatement certains des patrons qui sont venus nous voir parce qu’ils n’arrivaient plus à parler tellement ils étaient fatigués », raconte-t-il. Et d’évoquer la question du suicide. « Il y a ceux qui vous disent ”Je sais ce qui me reste à faire” et ceux qui visualisent le scénario. Il y a même ceux qui ont choisi le moment : une date d’audience au tribunal, un anniversaire, la date d’immatriculation au registre du commerce… »À Rebond 35, Juliette Moreau constate le désarroi des chefs d’entreprise qu’elle écoute, souvent des patrons de TPE dans le bâtiment, l’artisanat ou le commerce. « Certains sont en burn-out, d’autres se sentent pris au piège, avec parfois des prises d’anxiolytiques ou d’alcool. » Si moins de la moitié d’entre eux évoque le suicide, la psychothérapeute reconnaît que déceler ce risque en trente minutes d’entretien est très compliqué, même si certains« mots noirs » ou des phrases comme « moi de toute façon,je ne vais manquer à personne si j’arrête tout » sont autant de signaux d’alerte.Si la chambre de commerce et d’industrie d’Ille-et-Vilaine recense une vingtaine de suicides de patrons chaque année, dans le département voisin du Morbihan, deux restaurateurs ont mis fin à leurs jours depuis le premier confinement. Un patron d’une enseigne de restauration rapide à Vannes, au tout début de la crise, et la responsable d’un restaurant routier de Plougoumelen, âgée de 36 ans. « Dans les deux cas, il y avait déjà des difficultés financières et psychologiques. Le Covid-19 a servi d’accélérateur », explique Bruno Kerdal, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie du Morbihan.« Quand on est face à la liquidation judiciaire, on devient un zombie. On perd tout discernement », explique Bruno Delcampe, fondateur de SOS entrepreneur (4). Une association que cet ancien chef d’une entreprise de 100 salariés victime de la crise de 2008 a lancée après s’être senti seul et mal accompagné à l’époque.« Au tribunal de commerce, le chef d’entreprise est informé des différents dispositifs auxquels il peut avoir recours. Mais cela se fait de façon froide. Ce ne sera pas du conseil, car la loi l’interdit pour ne pas fausser la concurrence, raconte-t-il. Comment voulez-vous qu’un patron garde la tête froide et qu’il ait du discernement alors qu’il est en train de tout perdre ? » La ligne tenue par les 200 bénévoles de SOS entrepreneur, « experts pour professionnels en grande difficulté », permet donc de « vider son sac ».« Souvent, le chef d’entreprise fragilisé se fait des films et noircit sa situation, explique Bruno Delcampe. Nous sommes à l’écoute pour voir s’il est effectivement en grande difficulté. S’il ne l’est pas, nous l’orientons vers les acteurs compétents. Et s’il est en cessation de paiements, nous l’aidons à monter un dossier qu’il peut présenter à l’administrateur judiciaire. »Lors des entretiens, les experts de SOS entrepreneur n’hésitent pas non plus à orienter les patrons en dépression vers leur médecin de famille. « Quand on est entrepreneur, on sort du système pour créer soi-même son propre emploi, souligne Bruno Delcampe. Dès le premier jour on doit payer de notre poche. On est habitué à se battre seul. Les patrons prennent sur eux tous les jours pour s’en sortir. »« Entreprendre a des bienfaits sur la santé. En revanche, cette meilleure santé est plus risquée : quand un entrepreneur tombe, il tombe très bas. Il n’a aucun filet de sécurité », constate François Torrès, spécialiste des PME à la Montpellier Business School et fondateur d’Amarok, un observatoire de la santé des chefs d’entreprise.Selon une enquête d’Amarok auprès de 2 300 entrepreneurs, ceux-ci ont deux fois plus de risque d’être en burn-out qu’avant la crise. Mais alors que le surmenage en était jusqu’ici la principale cause, c’est le sentiment d’impuissance face à la situation qui fragilise le plus les patrons. « Le confinement a eu un impact beaucoup plus fort sur ces personnes habituées à être hyperactives que sur le reste de la population », relève François Torrès, qui souligne le rapport « existentiel » des patrons avec leur entreprise : « Ils vivent par et pour leur travail. Nombreux sont ceux qui racontent s’endormir avec des problèmes de trésorerie et se réveiller la nuit en trouvant la solution. Ils parlent de leur entreprise comme de leur bébé. »« Un chef d’entreprise se doit d’être un amortisseur de stress et d’inquiétude pour ses collaborateurs. Du coup, il s’est habitué à se donner un visage surhumain et il ne peut montrer à personne qu’il peut aussi être fragile et faible », résume Arnaud Guirouvet, patron d’une PME industrielle à Lyon et président des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC) de la région Auvergne-Rhône-Alpes.Tout au long de la crise, les équipes EDC dans lesquelles ses membres échangent n’ont pas cessé leurs rencontres, souvent virtuelles, devenant pour certains des lieux pour exprimer « entre pairs » des difficultés « qu’ils n’arrivaient parfois même pas à confier à leur conjoint », souligne Arnaud Guirouvet. « Aux EDC, on peut échanger de façon très intime à la fois sur des sujets très concrets et techniques, mais aussi associer les dimensions personnelle, familiale et spirituelle », raconte ainsi Benoît Desachy dont le cabinet de chasseur de têtes qu’il venait de fonder a subi la crise de plein fouet.« Le soutien de l’équipe EDC à laquelle j’appartiens, où certains avaient connu des difficultés et s’en étaient sortis, a été important, continue-t-il. J’ai aussi pu être mis en contact avec d’autres professionnels de ma branche qui avaient traversé des crises et m’ont aidé à prendre du recul. J’ai ainsi pu mener des actions dont je ne pensais pas avoir les moyens et que je n’aurais peut-être pas osées sans tous ces échanges. » Il se sent aujourd’hui plus serein, et la situation de son cabinet s’est améliorée au point de lui faire envisager l’avenir « avec un peu plus d’espérance ».

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