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« Si les talibans me trouvent, ils me tuent »
« Je suis revenu en Afghanistan le 19 juillet, pour mettre mes parents en sécurité. J’espérais pouvoir les faire partir au Pakistan ou en Ouzbékistan, le temps de trouver une solution pour qu’ils viennent en France. Mais nous sommes restés bloqués à Kaboul. Mon école essaie de nous sortir d’ici et nous faire venir à Paris. On m’a dit d’attendre mais pour le moment, je n’ai aucune nouvelle.→ CONTEXTE. En Afghanistan, chasse à l’homme et répression ont déjà commencéJ’ai dû quitter l’Afghanistan en 2017. J’avais été menacé par les talibans et Daech parce que j’ai travaillé pour les Américains et pour le gouvernement afghan, dans une base militaire. La semaine dernière, les talibans ont tué 200 personnes qui avaient travaillé pour le gouvernement américain. C’est horrible. Jeudi 19 août, j’ai appris que les talibans avaient accès à toutes leurs données. Depuis que je sais ça, Dieu sait ce qu’il se passe dans ma tête et dans mon cœur. On ne doit pas savoir que je suis ici car ma vie est en danger. Si les talibans me trouvent, ils me tuent.« Chaque fois que je vois les talibans dans les rues, j’ai l’impression qu’ils vont m’arrêter »Pour nous, c’était inimaginable que les talibans prennent Kaboul. Ce jour-là, j’étais à la préfecture pour faire changer le passeport de ma mère. On a entendu dire que les talibans étaient aux portes de la ville. Je n’y croyais pas. Mais lorsque je suis sorti, tout le monde conduisait à toute vitesse et les magasins fermaient. Ça a été un choc.Je ne dors plus. Dès que je vois des talibans dans la rue, j’ai l’impression qu’ils vont m’arrêter. Ma mère en est malade. Je ne quitte pas mon téléphone. Je guette les annonces des autorités françaises. Dès que j’apprends qu’il y a une possibilité d’aller à l’aéroport, je m’y rue pour essayer d’avoir des contacts avec l’armée française. Ça fait trois fois que j’y vais. Mais c’est impossible d’entrer. J’ai parlé avec des soldats américains, je leur ai dit que j’avais une protection subsidiaire en France. Mais ils ne pouvaient rien faire.Il y a plus de 10 000 personnes devant les portes de l’aéroport. Le premier jour, j’ai vu des corps et des gens mourir devant mes yeux. Beaucoup de femmes y décèdent et j’ai même vu un enfant de sept mois mort parce qu’il manquait d’oxygène. Les talibans tirent, les Américains aussi.→ EXPLICATION. En Afghanistan, les habitants vont-ils fuir leur pays ?Dans ma vie, je ne pleure jamais. Mais la première fois, à l’aéroport, j’ai beaucoup pleuré. L’aéroport était dans un état catastrophique. Tout était détruit. Les gens avaient le cœur brisé. Je ne pourrai jamais oublier. On se dit qu’il a fallu vingt ans de travail pour qu’en deux heures, tout soit terminé.« Ce sont les mêmes talibans d’il y a 20 ans »Les talibans ne parlent pas. Ils visent et tuent. Hier, il y avait des manifestations contre le retrait du drapeau afghan à Jalalabad. Les talibans ont tiré et il y a eu trois morts. Ils disent aux médias « On a changé, on n’est pas les mêmes talibans ». Mais ils n’ont pas changé. Ce sont les mêmes que ceux d’il y a vingt ans. Ils ont dit qu’ils avaient pardonné à tout le monde. Alors, s’ils ont pardonné, pourquoi ont-ils tué ? Dans les rues, il n’y a aucune femme. Certaines sont sorties manifester devant le palais présidentiel. Mais les talibans ne laissent pas les médias venir sur place. Ils ne veulent pas que le monde apprenne la vérité. Il n’y a pas de liberté d’expression. Les gens ont peur et les talibans volent les voitures. Qui va dire quelque chose ? Si tu le fais, on te tue.« J’ai vu des corps et des gens mourir devant mes yeux »Tout à l’heure, un petit garçon m’a demandé « Qu’est-ce qui m’arrivera dans le futur ? ». Il m’a dit « Toi, tu vas partir mais moi, je vais faire quoi ? » Je n’avais rien à répondre. Puis je lui ai dit que moi non plus, je ne savais pas ce qui allait m’arriver. En vous parlant, je prends des risques. Mais je ne vais pas me taire. Il faut dire ce qui se passe en Afghanistan. Quand je retournerai en France, je continuerai à informer et à dénoncer ce qui s’y passe. »