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« Si vous revenez à Venise, faites-moi signe »

« Si vous revenez à Venise, faites-moi signe »

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« Si vous revenez à Venise, faites-moi signe »

La nuit a été reposante et des chevaux s’ébrouent à côté de l’Antica Golena de Guastalla. Angela, qui nous avait accueillis la veille, vendredi 14 mai, nous a prêté une brosse normalement destinée à leurs crins pour décrotter nos propres « montures », couvertes de boue. Celle de Marc a désormais un surnom, « Ararat », le mont des Arméniens. « Ararat manque d’huile », dit-il. Sur la digue du Pô, bercés par le tintinnabulement d’un gobelet en métal accroché à une sacoche, nous nous sentons comme des cow-boys au trot dans les plaines du Far West.→ À LIRE. Les belles Italiennes de la plaine du PôLes Apennins sont réduits à une silhouette lointaine, la vallée est uniformément plate. San Benedetto Po est un bel endroit pour sortir un jambon de Parme et le déguster sur un coin de pelouse. La modeste commune lombarde est le siège d’une ancienne abbaye bénédictine fondée au XIe siècle. L’imposante église abbatiale est entourée de trois cloîtres et des amoureux s’embrassent à l’abri de colonnes, sans crainte de choquer quiconque. Napoléon a mis fin en 1797 à la vie monastique.Originaire d’Arménie, saint Simeon de Polirone, mort en 1016, en a été un des premiers moines. Son existence témoigne de la très ancienne implantation d’Arméniens en Italie, dès l’époque romaine. Aujourd’hui, ils sont environ 10 000 et concentrés à Milan, la capitale économique du pays. Nous n’irons pas à leur rencontre. Nous roulons plein est, en direction de Venise. Des champs, des levées de terre, des alignements de peupliers… Le parcours est quelque peu monotone, mais l’itinéraire est balisé et quasiment réservé aux vélos.Les doges n’avaient pas pensé au véloIl s’agit de la portion italienne de l’EuroVelo 8, la « véloroute de la Méditerranée ». Les « ciao ragazzi » fusent, lancés par des cyclistes en tenue fluo. À Revere, ce sont des coups de feu qui claquent et nous baissons la tête, instinctivement. Un stand de tir a été aménagé près du fleuve. Nous ne verrons bientôt plus le Pô. Le moment est venu de quitter la quiétude de la digue et d’obliquer vers le nord. Venise se rapproche par une voie rapide.Venise et la lagune depuis le vaporetto du Lido. / Marc Garmirian pour La Croix Les doges n’avaient pas pensé aux vélos en aménageant leur cité sur pilotis. Deux roues, rollers et trottinettes doivent rester à l’entrée de la Sérénissime, sous peine d’amende. Ils ne peuvent rouler que sur le Lido, le fin cordon qui ferme la lagune. Les bicyclettes ne sont pas non plus les bienvenues à bord des vaporettos, sauf sur la ligne 11. Nous y montons à 20 heures à Chioggia, débarquons sur l’île de Pellestrina, fonçons dans la nuit pour attraper un ferry, ratons le ferry, en profitons pour avaler un burger, rachetons des billets et débarquons enfin sur le Lido.→ GRAND FORMAT. Venise, sauver son âmeDe là, il nous reste à rouler jusqu’à l’autre extrémité de cette longue langue de terre, pour passer le portillon du camping San Nicolo après le couvre-feu, alors encore en vigueur, et sous la pluie. Le propriétaire ne nous en tient pas rigueur. Il nous accueille même avec enthousiasme et par un « bonjour » en français. Mis à part un camping-cariste espagnol, nous sommes ses seuls clients. Après une nuit aussi pluvieuse que la soirée, nous découvrons une Venise que nous ne reverrons probablement jamais.À Venise, « tout tourne au ralenti depuis deux ans »La place Saint-Marc est déserte et les gondoliers se morfondent. La faute au Covid, qui a succédé à l’acqua alta, la marée haute ayant entraîné des inondations en novembre 2019. « Tout tourne au ralenti depuis deux ans », raconte Leo, qui guette le client avec son canotier sur la tête. L’homme est polyglotte, comme l’exige son métier, et il aime la ville où il est né. « Mais tout est plus facile sur la terre ferme, poursuit-il. Tous mes amis y habitent, Venise devient trop chère. »Leo, gondolier désoeuvré à Venise / Marc Garmirian pour La Croix Gabriella Rossi le pense aussi. « La population du centre baisse », rappelle-t-elle. Malgré une cheville endolorie par une fracture, elle est venue à notre rencontre après des échanges d’abord téléphoniques. Cette Vénitienne francophone, héritage d’années d’adolescence passées à Paris, nous a aidés à prendre des rendez-vous pour effectuer des tests PCR, obligatoires pour notre prochaine étape, la Grèce. « Je n’ai pas osé vous rappeler, je ne voulais pas faire l’Italienne envahissante », dit-elle en riant.Le récit de notre nuit humide au camping lui arrache un autre rire : « Vous savez, je loue un appartement. Si vous revenez, faites-moi signe. » En attendant, elle nous indique quel vaporetto prendre pour rejoindre l’île Saint-Lazare : « La ligne 20. » L’ancienne léproserie est un conservatoire de la culture arménienne depuis 1717 et l’installation de la congrégation catholique fondée par Mékhitar de Sébaste, l’actuelle ville de Sivas en Turquie.« Certains manuscrits ont une valeur inestimable. Mais tout est précieux pour transmettre la beauté de la parole de Dieu. »Le père Hamzasp KechichianL’abbé, qui avait fui Constantinople avec ses disciples, s’était donné pour mission de restaurer la vie culturelle et spirituelle arménienne. Une quinzaine de pères mékhitaristes poursuivent son œuvre intellectuelle, dont le père Hamazasp Kechichian. Comme Gabriella, ce Syrien de 41 ans parle un français parfait. Il a grandi à Kessab, un village dont la majorité de la population est arménienne. Durant la guerre civile, la localité a été prise par les islamistes. « Heureusement, ma famille a pu fuir », confie-t-il.Dans ses pas, nous découvrons la richesse culturelle de ce monastère insulaire. La bibliothèque est emplie des nombreux ouvrages écrits par ces moines érudits, dont un des plus brillants fut le père Léonce Alishan. Leur travail scientifique et littéraire avait attiré Lord Byron sur l’île. Il leur avait aussi valu le respect de Napoléon. Le Corse devenu roi d’Italie leur avait permis de continuer leur travail en les exemptant de la mesure abolissant les ordres religieux.Alphabet arménien du XVII° siècle, monastère mékhitariste arménien de San Lazzaro, Venise / Marc Garmirian pour La Croix Son décret de 1810 figure dans un étonnant musée, dont la pièce maîtresse est une momie égyptienne. Les mékhitaristes ont également possédé une imprimerie qui contribuait à leur rayonnement. Mais leur véritable trésor se trouve dans la salle des manuscrits. Il y en a 4 000. « C’est la troisième collection au monde pour les manuscrits arméniens, précise le père Hamzasp Kechichian. Certains ont une valeur inestimable. Mais tout est précieux pour transmettre la beauté de la parole de Dieu. »Les Arméniens avaient leurs églises, leurs commerces, leur collègeUn vaporetto nous ramène à Venise, sans nous éloigner des Arméniens, qui ont marqué la ville par leur présence depuis l’arrivée de négociants au XVe siècle. Ils avaient leurs églises, leurs commerces et leur collège, tenu par les mékhitaristes dans un palais vénitien, le Palazzo Zenobio. Les portes en sont désormais fermées. Mais un édifice attenant est ouvert. Il héberge le Centre d’études et de documentation sur la culture arménienne. Les salles sont en chantier en raison des dégâts des hautes eaux de 2019. « On en est aux finitions », dit son directeur, Minas Lourian.→ À LIRE. Un rêve fou au Palais Zenobio, à VeniseAncien président de la communauté des Arméniens d’Italie, ce quinquagénaire barbu est un Libanais qui a émigré en Italie en 1980 à 16 ans, en pleine guerre civile libanaise. Il en conserve une blessure par balle dans le dos. L’institution qu’il dirige a été fondée dans les années 1960 par des architectes italiens soucieux d’étudier l’influence de l’architecture arménienne au Moyen-Orient et de la distinguer des techniques byzantines. Leur expertise n’était pas purement académique. Ils ont été consultés pour des chantiers de restauration en Arménie.Minas Lourian, directeur du centre d’études et de documentation sur la culture arménienne, Venise / Marc Garmirian pour La Croix Minas Lourian a développé le secteur musical du centre, sans vouloir l’enfermer dans une production strictement communautaire, ni résumer l’identité arménienne à la question du génocide. « C’est important de s’ouvrir et de produire de la culture, vivante et professionnelle, des choses inédites, en synergie avec d’autres institutions, sans rester dans un ghetto », résume-t-il. La structure a déjà produit des premières mondiales, sans négliger la musique sacrée.Patiemment, pour sauver et transmettre ce patrimoine, Minas Lourian a enregistré les chants liturgiques interprétés par un mékhitariste aujourd’hui décédé, le maître chantre Vertanes Oulouhodjian. « Il était dépositaire de la tradition arrivée à Venise avec les moines, la plus fidèle et la moins contaminée », explique-t-il. Cent cinquante CD de 80 minutes chacun ont été gravés et un hymne du Ve siècle accompagne notre départ. Nous en avons la chair de poule.→ DOSSIER. Retrouvez tous les épisodes et vidéos de la série « De Marseille à Istanbul à vélo, sur les traces de mon grand-père arménien »À lire, mardi 20 juillet : sixième étape, de Venise à Corfou (Grèce)« Des années de découverte de l’histoire arménienne »Christian Ardan Producteur de cinéma« J’ai été scolarisé avec mon frère au collège arménien de Sèvres, également tenu par les mékhitaristes. Ces années ont été d’abord pour moi les années de découverte de l’histoire et de la culture arméniennes. Les mékhitaristes l’ont protégée pendant le génocide et ont assuré sa transmission. Nos parents ne nous racontaient rien du génocide, de l’émigration, des problèmes rencontrés. Il y avait une vraie pudeur. Mon père avait 2 ans quand il a quitté Constantinople. Avec le recul, je me dis que la souffrance et la cicatrice étaient trop béantes. Cette génération voulait reconstruire une vie, mais ne voulait pas qu’on oublie. C’est pour cela que nous sommes allés au collège arménien. C’est une chance pour nous. On nous y a aussi transmis le respect de l’autre. Il y avait des Arméniens de Turquie, du Liban, d’Iran… Cette éducation nous a permis d’aller partout dans le monde et de nous sentir bien partout. »

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En 1922, Hagop Garmirian, Arménien de Constantinople, a quitté Istanbul pour Marseille en bateau.

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