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Sur l’île d’Hœdic, l’hiver est un cocon et l’été un défi

Sur l’île d’Hœdic, l’hiver est un cocon et l’été un défi

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Sur l’île d’Hœdic, l’hiver est un cocon et l’été un défi

Hœdic (Morbihan)De notre envoyée spéciale«Vous savez, on est un territoire de la République comme un autre. » Jean-Luc Chiffoleau, 73 ans et maire d’Hœdic pousse un soupir quand on lui parle d’un reportage sur cette île « du bout du monde », à près de deux heures de bateau depuis Quiberon. « Bon d’accord, ici tout est une exception, reconnaît-il après réflexion. Mais comme un village isolé de montagne, pas une île déserte ! »Sur 200 hectares, encerclés par des criques à l’eau turquoise et froide, une petite centaine d’habitants affrontent l’hiver. « C’est une vie à huis clos. On dit qu’on est une centaine, mais franchement des fois je pense qu’on est plutôt cinquante… », glisse Samuel Kergal en installant les tables de Chez Jean-Paul. L’adresse est courue parmi les cinq restaurants de l’île. Lui y travaille depuis bientôt trente ans, Chez Jean-Paul appartient à sa belle-mère.Samuel est venu s’installer à Hœdic avec femme et enfants il y a une vingtaine d’années. Elle était libraire et les livres sont désormais vendus dans le restaurant. Lui est devenu éleveur, le seul de l’île. « Au départ, j’avais pensé à du maraîchage, mais le Conservatoire du littoral m’a orienté vers l’élevage ovin, raconte-t-il. Après une formation, j’ai commencé par une douzaine de moutons pour voir si c’était viable. »Aujourd’hui, le troupeau comprend plus d’une centaine de bêtes, des Landes de Bretagne. La race est rustique. Pas de bergerie, pas de grain, pas de médicament. Dehors à grignoter les broussailles, toute l’année. Élevés pour leur viande, les moutons rejoignent l’abattoir de Vannes par bateau. « J’ai demandé un local de transformation sur l’île pour faire des saucisses, explique Samuel. On verra bien ce que cela donne. » Sur le chemin, une habitante signale que certains ovins se sont fait la malle sur le versant ouest. L’éleveur file les récupérer : « Je ne voudrais pas qu’ils causent des dégâts. » Les promeneurs ponctuels, bâtons de marche à la main malgré l’interdiction en vigueur sur l’île, semblent nettement moins soucieux des dommages à la végétation causés par leurs bouts pointus.L’hiver, Hœdic est desservie par un seul aller-retour quotidien – si la mer le permet. Mais en juillet-août, plusieurs compagnies accostent sur l’île, sans compter les plaisanciers. « Plus de 3 000 personnes viennent à la journée », chiffre Jean-Luc Chiffoleau. La communauté ermite et soudée se transforme alors en fourmilière affairée. Les saisonniers viennent grossir les rangs des quelques actifs. Les installations de traitement de l’eau, pompée dans une nappe phréatique souterraine, ne suivent plus le rythme. L’élu se retrouve parfois obligé de procéder à des coupures. Le sable irisé, pour l’instant vierge de tout mégot, se jonche de déchetsépars malgré des bacs de tri dans le bourg. « Certains font du camping sauvage et l’incivilité augmente », se désole celui qui entame son deuxième mandat. Trois gendarmes viennent assurer la sécurité sur l’île pendant l’été. Jean-Luc Chiffoleau s’inquiète surtout des voiliers et autres yachts qui mouillent l’ancre trop près des côtes ou rejoignent le rivage avec des canots à moteur, au mépris de ceux qui barbotent.« Il y a trop de monde », tranche Émilie Moisdon, garde du littoral depuis plus de vingt ans, et membre du seul groupe de musique de l’île. Sans ambages, elle dénonce la dégradation croissante des sentiers qui passent au milieu de la vipérine et des abeilles sauvages. « Cela peut paraître paradoxal, mais c’est l’hiver qu’on se sent le moins isolé ici, confie-t-elle. C’est la période où l’on peut prendre le temps de se rendre visite, où l’île est paisible. » L’été, la frénésie touristique effraie les habitants comme les faisans qui squattent le terrain de foot.Au centre de soins, il y a déjà de l’attente, pour une écharde ou une mauvaise chute. Deux infirmiers assurent la santé des Hœdicais à l’année. Pour Marie-Laure Klingner, ce poste permet un exercice du métier comme nulle part ailleurs. « Dans une aussi petite communauté, le suivi des patients est exceptionnel, décrit la jeune Alsacienne devant son café. Le souci de l’autre est beaucoup plus présent qu’en ville. Qu’on ne me dise pas qu’ici les gens sont plus seuls qu’à Paris ! »Son collègue Hadrien Destrehem, en poste depuis neuf ans, abonde. « L’accueil, l’entraide et la richesse du travail m’ont fait rester, explique le natif de Calais. Je peux m’occuper d’un hameçon dans le bras, accompagner des malades en fin de vie, faire les suivis gynécologiques… Il faut être formé et prêt à tout, tout le temps. » Le centre de soins dispose d’une petite pharmacie pour les urgences. Le médecin le plus proche est à Houat, l’île voisine, et les spécialistes sur le continent. « Heureusement, si besoin, on a la télémédecine.La consommation effrénée du continent ne me manque pas », ajoute Marie-Laure, qui se demande si la crise sanitaire et le télétravail vont amener plus de familles à habiter l’île. « La solitude hivernale peut être pesante et il faut apprendre à l’apprivoiser, reprend la jeune femme alors que le chat de la voisine se frotte à ses mollets. Les amis et la famille me rendent visite mais mon choix leur paraît surprenant. » Quelques maisons plus loin, dans la fraîcheur de la bibliothèque, Marguerite Le Berre, dite « Maggie », expose de sa voix douce : « Ceux qui aiment vraiment Hœdic viennent hors saison. » Alors qu’on s’émerveille des rayonnages bien remplis, elle sourit : « Vous savez, on lit beaucoup sur les îles, pour passer le temps. » Habituée d’Hœdic dès les années 1970, Maggie a fini par s’y installer définitivement il y a près de trente ans avec son époux, aujourd’hui décédé.Elle sort d’une étagère un livret retraçant l’histoire de l’église Notre-Dame-la-Blanche. Un peu à l’écart des maisons, perchée sur un promontoire collé à l’ancien sémaphore, l’église à la spectaculaire voûte bleue étoilée réunit normalement les habitants pour la prière et la convivialité, les courts jours d’hiver. « Mais notre prêtre est parti à la retraite il y a quelques mois, il était très fatigué, explique la bibliothécaire. Des remplaçants viennent ponctuellement, et on espère avoir un nouveau prêtre pour septembre. » En attendant, Maggie admire « la Création » sur ce rocher du Morbihan : « Pas de pollution, pas de bruit, juste la nature et la chance de vivre ici. » Son petit-fils le lui fait remarquer à chaque visite : « Mamie, c’est super chez toi car le jardin n’a pas de barrières ! » En l’absence de voitures sur l’île, aucun risque d’accident de la circulation. La zone de jeu n’est à partager qu’avec les lapins sauvages et limitée par les flots.À la sortie de l’école, les enfants s’égaillent dans les rues du bourg. Yannick Moisson, le maître, s’occupe depuis trois ans de l’unique classe, de la maternelle au CM2. « C’est beaucoup de travail mais un échange privilégié avec les élèves », glisse-t-il. Le collège se situe à Houat. Les adolescents prennent le bateau chaque matin, les yeux encore plein de sommeil. Pour le lycée, c’est internat sur le continent. La distance avec « la France », comme disent les Hœdicais, se fait alors sentir. Pour les jeunes de l’île, la rupture se consomme. Même si, parfois, ils reviennent s’installer au milieu des roses trémières pour une autre vie.


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