NOUVELLES
Le poids inédit des attentes parentales sur leurs enfants
[ad_1]
Sébastien est professeur de piano en région parisienne. Derrière lui, quatre décennies consacrées tout entières, ou presque, à cet instrument qui occupe une place singulière dans l’histoire familiale. « Ma grand-mère adorait le piano mais ne s’est pas sentie soutenue par son père, un industriel peu ouvert à toute forme d’art. Elle en a fait faire à sa fille, qui elle-même a voulu que je pratique cet instrument. Avec des séances interminables, qui se terminaient parfois par des réprimandes, voire des gifles. Et des cadeaux après chaque examen. »Sébastien était doué. Et le travail, la pression ont fait le reste. Ses succès douloureusement arrachés ont contribué tant bien que mal à doper son estime de soi, à lui offrir une place dans la société. Ainsi s’est refermé « le piège ». Car s’il chérit la musique et s’il s’engage pleinement dans la pédagogie, il ne peut s’empêcher aujourd’hui de penser qu’il ne s’est pas suffisamment écouté à l’heure des choix. Et qu’en écho, sa vie reste sous l’influence ancienne d’une alliance de femmes – mère, grand-mère, professeure de piano.→ ENTRETIEN. « Donner le juste poids aux attentes parentales »Père de deux enfants d’une dizaine d’années, Sébastien s’interdit de les entourer de rêves trop précis. L’aînée, en tout cas, a arrêté le violon, le second ne montre pas d’appétence pour la musique. « Ma femme et moi sommes d’avis de les encourager dans la voie qu’ils choisissent, même s’ils doivent faire des erreurs. C’est ainsi qu’on apprend », argumente-t-il.Jusque dans le choix d’un prénomCe témoignage illustre la puissance des attentes parentales, ce qu’elles charrient de volonté réparatrice parfois toxique, leurs effets sur le long terme, parfois même sur plusieurs générations. Tout parent veut le meilleur pour son enfant. Mais ce qu’il perçoit comme bon l’est-il vraiment pour son enfant ?« Ce qui est sûr, c’est que tout être a besoin de projections pour se construire, avance le pédopsychiatre Stéphane Clerget. Qu’on se conforme au modèle ou qu’on le rejette, il demeure une référence. » Ces attentes nourries par les parents s’expriment tantôt ouvertement, tantôt silencieusement. « On le rêve en champion de foot, on lui offre très tôt un ballon. Et parce qu’il développe des compétences dans ce sport, il sera susceptible d’adhérer au projet. »→ TÉMOIGNAGES. « J’ai voulu donner accès à l’excellence à mes enfants » sLes projections passent aussi souvent par le prénom : « Il y a fort à parier que les parents voient l’avenir de l’enfant en grand s’ils décident de l’appeler Alexandre. Et si le prénom choisi est aussi celui du grand-père, on attend sans doute du nouveau-né qu’il développe des qualités présentes chez son aïeul », relève-t-il.La réussite scolaire plus que jamais corrélée à la réussite sociale« Le poids des attentes parentales n’a en tout cas jamais été aussi fort », poursuit ce « psy ». « Car, avec la chute de la natalité, elles se concentrent dans chaque famille sur un petit nombre d’enfants. De plus, les filles, qui jadis pouvaient ’réussir’ par mariage, font désormais l’objet d’attentes aussi élevées que les garçons, en termes de parcours scolaire et professionnel », observe Stéphane Clerget.Le développement de la psychologie de l’enfant a contribué lui aussi à changer la donne. « Il y a cinquante ans, beaucoup considéraient que les petits poussaient tout seuls, livrés aux aléas de la destinée. Aujourd’hui, les parents ont conscience d’avoir un vrai rôle à jouer dans la réussite de leur progéniture. Et ce d’autant que la réussite sociale est plus que jamais corrélée à la réussite scolaire. »Paradoxalement, c’est parfois en baissant la pression, voire en taisant ses aspirations qu’on emmène un enfant dans la voie. « Je me suis toujours senti libre de mes choix. Et suis devenu agriculteur par attirance, et non pas devoir », analyse ainsi Vincent. Interrompant une première année à la faculté de sciences de Marseille, celui qui n’est alors qu’un jeune adulte décide de rentrer à Mallemort (Bouches-du-Rhône) aider son père dans son exploitation de fruits et légumes, en attendant de s’inscrire en BTS.→ GRAND-FORMAT. Quand les enfants reprennent la ferme familiale« J’ai alors compris qu’il n’attendait que ça », se souvient-il. Et quand, un an après, son père décède brutalement, le jeune homme, avant-dernier de cinq enfants, n’hésite pas : tout en menant ses études, il reprend ces terres cultivées par sa famille depuis cinq générations, terres dont il finira par être exproprié pour permettre la construction d’une ligne de TVG.« Accepter que cette trace nous échappe »Depuis, Vincent a créé, avec sa femme, ex-vétérinaire, une exploitation qui produit lait et beurre bio dans les Hautes-Alpes. À ses enfants, âgés de 2 et 14 ans, il aimerait léguer « les valeurs paysannes d’effort, d’enracinement, de respect de la terre ». Quitte à ce qu’ils les exploitent dans un autre cadre… Car il entend « les laisser libres de leur orientation ». Ce qui ne l’empêche pas de se dire tout bas que « ce serait dommage que le projet, le travail fourni, les connaissances acquises soient perdus à la prochaine génération. »« Un enfant est un prolongement de nous-même », rappelle Annick Pochet, thérapeute familiale à Genève. « Il faut accepter que cette trace nous échappe, qu’elle ne soit pas la copie conforme de notre rêve. À des degrés divers, les parents sont nécessairement déçus par leur enfant, et inversement, dédramatise-t-elle. Le tout est de savoir réviser nos attentes, les adapter à la personnalité, aux aspirations, aux capacités de l’enfant. Sinon, il risque d’entrer en résistance, en s’opposant frontalement ou en multipliant les échecs, les accidents, sur le chemin tracé pour lui. »→ CRITIQUE. Décevoir ses parents, un risque à courir ?Cette révision, Sophie l’a vécue peu après la naissance de son deuxième enfant, atteint d’un handicap. « Quand Ludovic avait cinq ans, je rêvais juste de le voir lire un jour », confie cette mère, qui a progressivement repoussé l’horizon de ses attentes jusqu’à ce que son fils entame une formation du supérieur.Si elle a toujours veillé à ne pas laisser la situation peser sur les trois autres membres de la fratrie, elle s’est gardée d’insuffler entre frères et sœurs « cet esprit de compétition qui parfois conduit à l’excellence. Familialement, nous avons quitté la grande autoroute des ambitions pour emprunter des chemins de traverse, avec une attention à la fragilité des uns et des autres. Des chemins parfois douloureux mais autrement créatifs et passionnants. »——————————–De fortes attentes scolaires♦ Selon un sondage Opinion Way-Apel-La Croix de 2014, l’école nourrit très largement les attentes des parents.♦ 88 % d’entre eux déclarent que les résultats scolaires tiennent une place plutôt importante (59 %) voire très importante (29 %) dans les discussions qu’ils ont avec leurs enfants.♦ L’école et les résultats scolaires pèsent également sur l’image que les parents ont de leurs enfants : pour 78 % lorsqu’ils parlent d’eux avec d’autres adultes et pour 84 % dans l’appréciation qu’ils portent en général sur leurs qualités.♦ 96 % des parents disent être attentifs à la réussite scolaire tout au long de l’année.——————————-Des pistes pour approfondir♦ L’art de décevoir ses parents, de Michael Bordt, éditions First, 2018, 11,95 €.Dans cet ouvrage qui rencontre un grand succès, ce jésuite allemand, professeur à l’école de philosophie de Munich, indique au lecteur comment gérer de manière constructive ses conflits intérieurs et les émotions qui y sont liées. Il l’invite à se réconcilier avec lui-même, le meilleur moyen de se réconcilier avec les autres, notamment avec ses parents, et de bâtir avec eux des relations plus matures.♦Attentes parentales : enjeux et déceptions, d’Annick PochetDans ce court article, la thérapeute en psychologie systématique analyse ce qui se joue dans les relations avec nos enfants. Elle y soutient qu’« on déçoit toujours nos parents à un moment donné, comme nos enfants nous décevront forcément à leur tour ».♦ Ados, le décodeur, de Stéphane Clerget et Estelle Denis, éditions Leduc pratique, 2019, 17 €.Ce livre construit comme un dialogue entre une mère journaliste et un pédopsychiatre permet d’aborder une centaine de questions que se posent couramment les parents d’adolescents. Tout un volet de l’ouvrage est consacré à la façon dont on peut aider son enfant à « trouver sa voie ».♦ La médiation familiale, de Sabrina de Dinechin, Éd. Eyrolles, 2015, 10 €.Un guide pratique qui s’appuie sur des exemples et des témoignages pour proposer des pistes en cas de conflit.
[ad_2]
Ссылка на источник